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Présentation des Mémoires de Jean Daujat par Claude Paulot

2013-02-05

Le fondateur du Centre d’Etudes Religieuses, Jean Daujat, m’a chargé de publier ses mémoires après sa mort survenue le jour de la Pentecôte, le 31 mai 1998. De 1906 à 1998, sa longue vie traverse le vingtième siècle et ses mémoires constituent un document passionnant sur cette époque car il se souvenait de tout ; il écrit de mémoire mais cette faculté était chez lui prodigieuse. Ceci lui a permis de raconter les événements qu’il a vécus avec une précision remarquable. Il se souvient de son enfance, avant la première guerre mondiale, et du déroulement de celle-ci qu’il suivait attentivement car son intelligence très précoce en percevait non seulement le détail mais la vue d’ensemble et ceci était demeuré dans son esprit, comme ceux qui ont suivi sa dernière conférence, le 15 mars 1998 à la Trinité, ont pu s’en rendre compte. La première guerre mondiale constitue une rupture dans l’histoire, le monde et les mentalités n’étaient pas les mêmes avant et après et Jean Daujat donne un témoignage passionnant de la vie avant ce hiatus.
Jean Daujat, d’une brillante intelligence, a suivi un parcours original ; il n’est entré à l’école qu’en 1918, en classe de quatrième ; jusqu’à cette date, sa mère s’était chargée de son éducation et de son instruction, lui donnant une solide culture classique. Il se souvenait de tout, depuis les menus de sa petite enfance jusqu’aux programmes scolaires des différentes classes qu’il avait suivies donnant son avis sur la qualité des uns comme des autres, de la valeur ou de la nocivité de tel régime alimentaire à la puissance formatrice de tel raisonnement mathématique. La minutie et la qualité de ces souvenirs en font un document précieux.
Entré à l’École normale supérieure en 1926, il y côtoie des scientifiques comme Chevalley, Dieudonné, Cartan ou André Weil, des littéraires, historiens ou philosophes comme Simone Weil, Merleau-Ponty, Henri-Irénée Marrou, Sartre et Simone de Beauvoir, Raymond Aron, Etienne Borne, Thierry Maulnier, Bardèche, Brasillach, Jean Guitton.
Mais des mémoires font pénétrer dans la vie privée de celui qui écrit et, sur ce point de vue, il ne cache rien, faisant preuve de la même minutie servie par son exceptionnelle mémoire des faits et des personnes. Il dévoile les frasques amoureuses de son père et les tensions qui pouvaient exister entre ses parents avec un étrange mélange de regard à la fois d’observateur extérieur et de compassion, ne jugeant pas la personne, avec cette confiance absolue qui était la sienne dans la miséricorde infinie de Dieu. Son père, comme sa mère, reviendront, sous son influence, à la pratique des sacrements et feront une mort très chrétienne. Il ne cache non plus, rien de lui-même, depuis sa première déclaration d’amour vers l’âge de cinq ans à une petite fille inconnue sur un plage de Normandie jusqu’à ses secrets les plus intimes y compris ses faiblesses.
L’œuvre primordiale de la vie de Jean Daujat a été le Centre d’Etudes Religieuses qu’il a fondé en 1925, à la veille de ses 19 ans. Au lycée Pasteur à Neuilly, son professeur de biologie, Jules Lefèvre, l’oriente vers saint Thomas d’Aquin, notamment par la lecture de l’Introduction à la philosophie de Jacques Maritain. Amédée d’Yvignac lui fait rencontrer celui-ci qui lui conseille de se former doctrinalement et spirituellement. Pour cela il est mis en contact avec le Père Garnier, Assistant général des religieux de saint Vincent de Paul. C’est ce dernier qui ouvre les cours de ce qui deviendra le CER, le 25 octobre 1925, dans les locaux de Notre-Dame de la Salette où notre aumônier actuel, le père jacques Germaix, est aujourd’hui vicaire. C’est le cardinal Verdier, archevêque de Paris, qui donnera son nom au Centre d’Etudes Religieuses en 1929 et Jean Daujat commencera à y enseigner lui-même en 1931. Des milliers d’élèves ont été formés par lui. Le rayonnement de Jean Daujat a été quelque chose d’étonnant car, un peu partout, dans les villes comme dans les coins reculés de la campagne, on trouve fréquemment des gens qui ont bénéficié de son influence, comme j’ai pu souvent le constater ; c’est extraordinaire, à la sortie de la messe d’un petit village de province de rencontrer quelqu’un qui a suivi les cours 20, 30 ans auparavant et qui en reste marqué et demeure toujours motivé par la vie du CER. Ce rayonnement dépasse d’ailleurs les frontières car il atteint des ressortissants de pays africains, voire d’Asie ou d’Amérique, sans compter divers pays européens.
Il y eut de nombreuses vocations sacerdotales ou religieuses parmi ses élèves et, là encore, dans de nombreux monastères, on trouve d’anciens élèves de Jean Daujat qui lui restent attachés par delà les années, peut-être d’autant plus que cette période se rattache aux années de leur jeunesse et de la floraison de leur vocation. Mais le CER ne fut pas seulement à l’origine de vocations, de nombreuses amitiés s’y nouèrent qui durent, des rencontres qui conduisirent à des mariages y eurent lieu. Les enfants des premières générations y sont élèves à leur tour et parfois les petits enfants ; cet attachement à travers le temps et les générations témoigne de l’amitié et de la fidélité. La vie de Jean Daujat se confondit rapidement avec celle du CER, c’était sa famille.

Pratiquement, pour ce qui concerne ce premier tome, outre les corrections que j’ai effectuées dans le texte, j’ai ajouté en annexe trois documents qui me paraissent compléter le point de vue de Jean Daujat :
Les lettres de Jacques Maritain correspondant à la période de ce premier tome qui montrent la bienveillance du philosophe catholique vis-à-vis du jeune homme et, parfois, les barrières nécessaires pour canaliser les initiatives surgissant de son esprit d’entreprise.
Le récit donné dans un de ses livres par Yvonne Estienne de son premier contact avec Jean Daujat par l’entremise de Monseigneur Ghika.
Le témoignage de Jean de Fabrègues sur le zèle apostolique de l’étudiant qu’était alors Jean Daujat.